Témoignage de M. Lucien Ducastel (2002) Pour l'essentiel, les familles ont été trois ans sans nouvelles. A un moment, nous avons eu le droit d'écrire. Mais il fallait écrire que nous étions très heureux, qu'on mangeait bien, etc… parce que nos lettres passaient par le bureau du camp et toutes celles qui ne disaient pas cela ne partaient pas. Nous avons été un certain nombre à ne pas vouloir écrire cela, à refuser de mentir. Quand on est rentré, les choses ont été très difficile , peut-être moins difficiles pour les gens qui, comme moi, étaient célibataires. Mais pour les hommes ou les femmes mariés, qui rentrent sans avoir pu donner de nouvelles pendant un an, deux ans, trois ans, etc… et qui frappent à la porte de chez eux et c'est leur remplaçant qui vient ouvrir… parce que le mari ou la femme a pu refaire sa vie au bout d'un certain temps sans nouvelles. Je suis arrivé le matin, vers midi, en ambulance, sur une civière. L'infirmier frappe à la porte. Au bout de trois ans, plus personne ne m'attendait plus. Ma mère est allé voir chez le charcutier pour trouver une tranche de jambon, car à l'époque, c'était encore le rationnement. Elle a fait tout ce qu'une mère pouvait faire dans ces conditions. Puis le soir, mon père est renté du boulot. Il était métallurgiste, un homme charmant mais un peu dur. Il me regarde et dit : " te v'là, toi ! Je lui dis : " Apparemment, oui… ". Au bout de quelques secondes, il ajoute : " J'espère que t'as compris, cette fois ! "
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